Christophe Colomb guidé par les astronomes et les marins musulmans
Il est bien connu que les musulmans européens du Moyen Âge étaient bien plus avancés que leurs contemporains non-musulmans, du fait de l’âge d’or de l’Espagne et de la Sicile alors sous domination musulmane. Pourtant, de nombreuses personnes oublient que les astronomes et les mains musulmans ont joué un rôle important dans la découverte du Nouveau Monde – ainsi, entre autres, les instruments astronomiques et les cartes utilisés par Christophe Colomb avaient été perfectionnés par les musulmans. En fait, les musulmans ont établi le contact avec le Nouveau Monde avant même Christophe Colomb ! [Cliquez ici pour en savoir plus sur l’Islam en Espagne et en Sicile.]
Dans son enquête sur les musulmans en Amérique latine publiée dans le Journal of the Institute of Minority Affairs (1984), Ashani écrit : « Les navigateurs musulmans d’Espagne et d’Afrique avaient établi des contacts avec le Mexique et d’autres régions d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale bien avant Christophe Colomb. » Puis il fournit les preuves : « Des pièces de monnaie arabes datant de 800 apr. J.-C. ont été retrouvées le long de la côte sud-américaine. »
Mais encore, nous savons que Vasco de Gama a pris conseil auprès de l’astronome musulman Ahmad bin Majid, et qu’une carte de l’hémisphère occidental, découverte en 1929 et dressée par le navigateur et cartographe Piri Muhyi’ al-Din Re’is (décédé en 1554), n’a vraisemblablement pu être réalisée qu’avec des informations de première main recueillies aux Amériques. La conclusion d’Ashni est claire : pour lui, les missions portugaises et espagnoles dans le Nouveau Monde « ont été guidées par les marins musulmans – les morisques ».
Le tout premier chrétien à avoir vu les Amériques converti à l’Islam
Par un grand paradoxe historique, le premier chrétien à avoir vu la terre américaine, Rodrigo de Triana, ou Rodrigo de Lepe, est devenu musulman à son retour en Espagne, faisant apostasie du christianisme « car Colomb ne l’avait pas cru, et le Roi ne lui avait accordé aucune récompense pour avoir été le premier homme de tout l’équipage à avoir discerné la lumière des Indes ».[1]
L’expédition de Christophe Colomb en 1492 a coïncidé avec la chute de Grenade, le dernier bastion musulman d’Espagne. Pour les musulmans espagnols, c’est une période très dure qui allait alors s’ouvrir et culminer dans l’Inquisition. La tournure que prirent les évènements a incité de nombreux musulmans déplacés à se rendre dans le Nouveau Monde dans l’espoir de pouvoir pratiquer à nouveau librement leur religion.
Les circonstances d’alors ne sont pas sans rappeler la cruauté qu’infligèrent les païens de La Mecque à certains des premiers musulmans : pour échapper à de terribles persécutions, un petit nombre d’entre eux avaient trouvé refuge dans l’Éthiopie chrétienne. [Cliquez ici pour en savoir plus sur la rencontre de Jafar ibn Abi Talib avec le roi d’Éthiopie.] Leur patience et leur persévérance avaient finalement payé lorsqu’ils furent en mesure de rejoindre leur communauté à Médine. De la même façon, les musulmans espagnols persécutés pouvaient trouver refuge dans les Amériques.
En fait, la liberté de culte est l’une des caractéristiques propres de l’Islam. Le Coran proclame : « point de contrainte en matière de religion ». (2:256) Les empires musulmans à travers les âges – des Abbasides à Bagdad aux Ottomans à Istanbul en passant par les Omeyyades à Cordoue – ont toujours accordé le droit à leurs citoyens de pratiquer leur religion, qu’il s’agisse du christianisme, du judaïsme ou du zoroastrisme. Par extension, les musulmans chérissent leur droit à exercer librement leur propre religion. Rien d’étonnant alors qu’ils aient choisi de se faire les pionniers d’une terre presque inconnue de tous. [Pour en savoir plus : La charte pour la liberté de religion envoyée par Mohammed au monastère de Sainte-Catherine]
Ahsani écrit : « Les artisans musulmans […] ont apporté leur art dans le Nouveau Monde. Aux 16e et 17e siècles, ils s’installèrent dans les colonies sans leurs familles, et leurs descendants – les mestizos – nés de femmes autochtones, ont perpétué leur savoir-faire au Mexique, au Guatemala, à Cuba, en Colombie, en Équateur, au Pérou, en Bolivie et au Brésil. »
La preuve de cette migration nous est fournie par le fait que, en réaction, l’Espagne a décrété « un ensemble de lois et de règlements » (Bazan) destiné à empêcher les musulmans d’aller vivre dans le Nouveau monde. Mais la reine a échoué dans son projet de mettre un frein à ce nouveau flux migratoire ; et c’est même un nombre croissant de musulmans et de juifs qui continuèrent à s’installer en Amérique latine, les uns comme les autres dans l’espoir de pouvoir pratiquer librement leur religion. En 1539, l’Espagne décrète l’interdiction du « transfert vers les Indes occidentales des fils et petits-fils des personnes » d’ascendance musulmane ou juive. Peu après, en 1543, Charles Quint « ordonnera l’expulsion » des musulmans vivants dans les Amériques.
Les musulmans découvrent et habitent et les Amériques
Ce que nous venons de voir indique clairement que les musulmans ont joué un rôle considérable dans la « découverte » et le peuplement des Amériques. Cependant, la preuve la plus solide de la présence musulmane là-bas nous est donnée par les esclaves déportés d’Afrique. Malheureusement, la plupart d’entre eux connurent un sort similaire à celui des musulmans espagnols. Ils furent contraints de se convertir au christianisme :
Ainsi, le baptême des esclaves devint une obligation morale incombant à leurs maîtres… Si bien que les Africains qui étaient débarqués dans le Nouveau Monde avaient déjà fait l’objet d’une conversion à grande échelle. Le jésuite Pedro Claver, qui officiait à Cartagena en Colombie dans la première moitié du dix-septième siècle, a été canonisé en reconnaissance de ses services : il aurait baptisé plus de trois-cents milles Africains… Les conversions – ou plutôt les conversions superficielles – étaient obtenues sous la menace d’impitoyables châtiments… Les Européens non catholiques étaient autorisés à pratiquer leurs rites dans la sphère privée, mais les religions des esclaves étaient illégales. Après la révolte musulmane de 1835, il fut accordé aux maîtres brésiliens six mois pour baptiser leurs esclaves et leur dispenser une éducation plus religieuse, après quoi, ils s’exposaient à une amende pour chaque esclave non chrétien en leur possession.[2]
Diouf décrit très bien le poids et l’impact à long terme de cette triste situation : « Avec une présence avérée de cinq cents ans, l’Islam est, après le Catholicisme, la première religion monothéiste introduite dans l’Amérique post-colombienne. Il y a précédé le Luthéranisme, le Méthodisme, le Baptisme, le Calvinisme, la Santería, et le Vaudou pour n’en citer que quelques-unes […], mais aucune communauté n’y pratique actuellement l’Islam tel qu’il avait été transmis par les générations africaines précédentes. »
Tout comme l’Espagne et la Sicile, l’Amérique latine a réussi à effacer les musulmans de son territoire. Néanmoins, avec le temps, l’Islam a fini par renaître notamment au gré des récentes vagues de migration de nouveaux musulmans qui, comme leurs prédécesseurs, ont décidé de vivre sur ce continent.
[1] Rafael Guevara Bazan, « Some Notes for a History of the Relations Between Latin America, the Arabs and Islam. » The Muslim World, 61 (1971) : pp. 284-292.
[2] Sylviane A. Diouf, Servants of Allah: African Muslims Enslaved in the Americas. New York, New York UP, 1998.