Dr Laurence Brown
Le concept de péché originel est totalement étranger au judaïsme et au christianisme oriental, et n’a été accepté que dans l’Église occidentale. Par ailleurs, les notions de péché chrétienne et islamique sont presque antinomiques sur certains aspects. Par exemple, la notion de « péché par la pensée » n’existe pas dans l’Islam ; pour un musulman, une pensée mauvaise devient une bonne action dès lors que la personne se refuse à la concrétiser. Surmonter et écarter les mauvaises pensées qui ne cessent d’assaillir notre esprit est considéré comme digne de récompenses et non de punition. Du point de vue islamique, une mauvaise pensée ne peut être péché que si elle est mise en acte.
L’évocation mentale des bonnes actions est plutôt contraire à la nature fondamentale de l’homme. Depuis notre création, en l’absence de limitations sociétales ou religieuses, l’humanité s’est toujours assise au banquet de la vie, dans la luxure et l’abandon. Les orgies de la complaisance et de l’égocentrisme qui ont pavé les les chemins de l’histoire ne touchent pas seulement les individus ou les petites communautés, mais aussi les plus grandes puissances mondiales que se sont parfois vautrées dans la décadence jusqu’à l’autodestruction. Si Sodome et Gomorrhe en sont sans doute le plus bel exemple, les grandes puissances antiques – telles que les empires grec, romain et perse, ainsi que ceux de Genghis Khan et d’Alexandre le Grand – ne sont sûrement pas très honorables à cet égard. Mais si les exemples de décadence collective sont innombrables, les cas de dépravation individuelle se multiplient de façon exponentielle.
Donc, les bonnes pensées ne surgissent pas toujours de l’instinct premier de l’humanité. À ce titre, le point de vue islamique est que le simple fait de penser à de bonnes actions est digne de récompenses, même en l’absence de passage à l’acte. Lorsque quelqu’un réalise une bonne action, Allah multiplie d’autant la récompense.
La notion de péché originel n’existe tout simplement pas, et n’a jamais existé, dans l’Islam. Pour le lecteur chrétien, la question ne sera pas de savoir si le concept de péché originel existe aujourd’hui, mais de savoir s’il existait déjà à l’époque qui a vu naître le christianisme. Il s’agira notamment de savoir si Jésus l’a enseigné ?
Or, il semblerait que ce ne soit pas le cas. Quelle que soit la personne qui a forgé ce concept, ce n’est certainement pas Jésus, car ce dernier aurait dit : « Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Matthieu 19:14). L’on pourrait se demander comment « le royaume des cieux » peut bien être pour « ceux qui leur ressemble » si les non baptisés sont condamnés à l’enfer. Soit les enfants naissent accablés du péché originel, soit ils naissent destinés au royaume des cieux. L’Église ne saurait concilier les deux propositions. Ezéchiel (18:20) rappelle : « Le fils ne portera pas l’iniquité de son père, et le père ne portera pas l’iniquité de son fils. La justice du juste sera sur lui, et la méchanceté du méchant sera sur lui. »
Le Deutéronome (24:16) insiste également sur ce point. On pourra objecter qu’il s’agit là de l’Ancien Testament, mais ce dernier n’est pas pour autant antérieur à Adam ! Si le péché originel date d’Adam et Ève, on ne devrait en trouver aucune négation dans quelque écriture que ce soit, de quelque époque que ce soit.
L’Islam enseigne que chaque individu nait dans un état de pureté spirituelle, mais que l’éducation et la tentation des plaisirs terrestres peuvent le corrompre. Néanmoins, les péchés ne sont pas hérités, d’ailleurs, Adam et Ève eux-mêmes ne seront pas punis pour leurs péchés puisque Dieu les a pardonnés.
De plus, comment l’humanité pourrait-elle hériter de quelque chose qui n’existe plus ? Non, du point de vue islamique, nous serons tous jugés sur nos actes, car « l’homme obtient seulement le fruit de sa rétribution » (Coran 53:38-39), et « Qui bien se guide le fait pour soi-même, qui s’égare le fait à son propre détriment; Nul n’aura à assumer les pêchés d’autrui » (Coran 17:15). Chacun sera responsable de ses actes, mais aucun enfant ne va en enfer pour ne pas avoir été baptisé, aucun enfant n’est congénitalement souillé par le péché.